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Plafonnement du trafic aéroportuaire : Analyse du cas Schiphol

Publié : 19 septembre 2024

Avec 62 millions de passagers en 2023, l’aéroport d’Amsterdam Schiphol est le troisième aéroport le plus fréquenté d’Europe, après Londres Heathrow et Paris. Au cours des dernières décennies, l’aéroport s’est développé bien au-delà des besoins néerlandais. La principale compagnie aérienne nationale, KLM, a fait de Schiphol un hub (plaque tournante) pour les passagers en transit, afin de concurrencer les autres grandes compagnies aériennes. Ces passagers en transit ne contribuent guère à l’économie néerlandaise, mais ont sérieusement augmenté l’impact de l’aéroport sur le climat, la biodiversité et la santé des riverains.

Le gouvernement néerlandais a soutenu la croissance du hub pendant des décennies. Ce faisant, il a enfreint certaines de ses propres réglementations relatives à la protection des citoyens et de l’environnement contre le bruit excessif et les émissions d’azote. En réaction, un certain nombre d’organisations environnementales et d’associations de riverains se sont organisées et ont fait valoir leurs droits et demandé des comptes au gouvernement.

Si diverses stratégies, allant des manifestations de masse aux campagnes de communication, ont été essentielles pour faire monter la pression politique, les actions en justice ont joué un rôle important pour obtenir le plafonnement du nombre de mouvements d’avions de l’aéroport. Et la lutte n’est pas terminée… Ce qui suit présente une chronologie non exhaustive de la loi, des infractions à la loi et de la résistance, ainsi que quelques tentatives d’analyse des leçons que l’on peut en tirer.

Cet article a pour but d’exposer tous les avantages et les inconvénients du débat « Les quotas aériens sont-ils un bon moyen de réduire le trafic aérien ? », afin de permettre à chacun de se forger une opinion critique et éclairée.

Débat en construction.

Chronologie de la résistance

Années 1970 : les premières ONG environnementales commencent à protester contre l’agrandissement des aéroports aux Pays-Bas. Milieudefensie, la branche néerlandaise des Amis de la Terre International, organise la plantation d’une forêt à l’emplacement d’une future piste d’atterrissage, pour tenter d’en empêcher la construction.
1980: les premiers collectifs de riverains commencent à protester contre l’augmentation des activités aéroportuaires et leur impact. En 1992, l’Union européenne étend sa politique de protection des oiseaux sauvages en adoptant la directive « Habitats », qui constitue le cadre actuel de protection de la biodiversité. Cette directive protège l’environnement à proximité des aéroports contre les émissions excessives d’azote.
Milieu des années 1990 : l’agrandissement de l’aéroport de Schiphol suscite de nombreuses protestations. Le gouvernement promet que le bruit et la qualité de l’air ne se dégraderont pas, malgré l’augmentation du nombre de vols.

Au cours de la même décennie, la Mobilisation pour l’environnement (MOB), une petite ONG néerlandaise de défense de l’environnement, est créée pour engager des actions en justice dans les cas où un gouvernement ne respecte pas les lois relatives à l’environnement.

2002 : le gouvernement néerlandais vote en faveur de la ratification du protocole de Kyoto puis, en 2015, ratifie l’accord de Paris, s’engageant ainsi à limiter les émissions de gaz à effet de serre.
2007 : la nouvelle ONG environnementale Urgenda (urgent + agenda) est créée. En 2013, elle prépare une action en justice contre le gouvernement néerlandais pour non-respect de ses obligations en matière de limitation du changement climatique.
Vers 2008 : le gouvernement élabore une nouvelle stratégie pour le secteur aérien, avec une nouvelle augmentation du nombre de vols aux motifs discutables. Au cours du processus, des associations de riverains de l’aéroport sont invitées à donner leur avis, mais celui-ci n’est pas pris en compte. Leur consultation est utilisée pour revendiquer un large soutien de la part des résidents locaux en faveur des nouveaux projets.

À peu près au même moment, certains habitants commencent à changer de stratégie et exigent officiellement que les limites de niveau sonore prévues soient respectées chaque année, ce qui n’a jamais été le cas.

2015 : dans l’affaire historique Urgenda, le tribunal de district de La Haye décide que « les émissions de gaz à effet de serre doivent être réduites d’au moins 25 % d’ici à la fin de l’année 2020 par rapport au niveau de 1990 ». L’État néerlandais fait appel, mais la Cour d’appel confirme le jugement en 2018. L’État néerlandais se pourvoit en cassation, mais en 2019 la Cour suprême rejette le pourvoi. Pour la première fois, la Cour ordonne à un État de faire plus pour lutter contre les dangers du changement climatique, sur la base des droits de l’homme. Urgenda crée le Réseau de Contentieux Climatique (réseau de contentieux sur le climat) afin de soutenir les poursuites en justice relatives au changement climatique dans d’autres pays. De nombreuses affaires ont abouti depuis, mais les actions en justice concernant le secteur aérien se sont limitées aux allégations fallacieuses mises en avant dans la publicité des compagnies aériennes et n’ont pas encore été étendues aux politiques publiques en matière d’aviation.

Depuis 2015, l’aéroport de Schiphol dépasse officiellement les limites légales de bruit et les autorités ont choisi de ne pas faire respecter les règles, ce qui s’ajoute au contentieux généré par l’aéroport. Entre-temps, les manifestations contre la croissance du transport aérien ont pris de l’ampleur, organisées conjointement par des ONG environnementales, des associations de riverains d’aéroports et des partis politiques.

2018 : les activistes s’habillent en rouge pour symboliser un feu rouge à la croissance du trafic aérien.
2019 à aujourd’hui : des recours en justice sont intentés sur la pollution par l’azote (voir ci-dessous).
2022 à aujourd’hui : le gouvernement et le tribunal veulent baisser le plafond des vols, ce qui pourrait créer un précédent pour d’autres aéroports (voir ci-dessous).
2022 : en novembre, des activistes bloquent des jets privés à l’aéroport pendant plus de 6 heures. En avril 2023, l’aéroport de Schiphol annonce son intention d’interdire les vols de nuit et les jets privés à partir de 2026.

L’azote, première raison de plafonner les vols à Schiphol

En 2019, l’ONG Mobilisation for the Environment (MOB) demande officiellement l’application de la loi sur les émissions excessives d’azote de Schiphol, au motif que celles-ci se produisent illégalement en l’absence de « permis environnemental », au beau milieu d’une crise de l’azote. L’azote provient du fumier animal et des oxydes d’azote émis par les véhicules à moteur, les avions et l’industrie, et entraîne des effets indésirables sur la qualité des sols, de l’eau, de l’air et de l’environnement. La ministre en charge des questions d’azote, a dû admettre en 2020, que l’exemption de Schiphol ne reposait sur aucune base juridique solide et qu’un « permis environnemental » était nécessaire.

Plus tard, elle a dû admettre que c’était également le cas pour les autres aéroports et, en septembre 2023, elle a accordé un « permis environnemental » à Schiphol pour 500 000 vols, offrant ainsi une marge de croissance, malgré les avis de ses propres collaborateurs qui lui déconseillaient cette stratégie difficile à défendre devant les tribunaux.

Cette décision a suscité la controverse, car la ministre n’avait pas été aussi accommodante avec les nombreux agriculteurs qui attendaient que leurs émissions d’azote soient légalisées par le biais d’un « permis environnemental ». En 2023, le MOB annonce qu’il engage une action en justice et dépose un recours auprès du tribunal. Le ministre s’efforce à présent de convaincre le tribunal que le « permis environnemental » accordé à Schiphol est justifié.

Le gouvernement prévoit de réduire le bruit en plafonnant le trafic aérien

En juin 2022, de nombreux Néerlandais ont été surpris d’entendre le ministre des transports Mark Harbers annoncer que le nombre maximal de vols autorisés passerait de 500 000 à 460 000 fin 2023 et à 440 000 un an plus tard, contrairement à l’objectif de 540 000 annoncé précédemment. Ce nouveau chiffre n’est pas basé sur un calcul exact en matière de bruit ou d’environnement, mais constitue un compromis ou une première étape. Le ministre a admis que l’aéroport ne respectait pas les règles en matière de bruit et d’azote, et que des mesures drastiques étaient nécessaires pour se conformer aux règlements. Des actions en justice étaient en préparation par différents groupes de la société civile et le ministre savait qu’elles seraient probablement couronnées de succès. Les médias ont évoqué « un marécage judiciaire ».

Jusqu’en septembre 2024, le projet de plafonnement a été modifié à plusieurs reprises, pour atteindre un maximum de 475 000 à 485 000 vols annuels, à partir de la fin de l’année 2025. L’argument avancé est que les autres mesures de réduction du bruit ont gagné en efficacité, et que la réduction du trafic est donc moins impérative. En matière de limitation du bruit lié au trafic aérien, la Commission européenne a mis en place une procédure appelée « approche équilibrée », qui exige que toutes les parties prenantes soient impliquées dans un long processus et que la réduction du trafic ne soit envisagée qu’en dernier recours (voir encadré 1).

Vingt parties prenantes, principalement des compagnies aériennes, ont contesté juridiquement le projet du gouvernement néerlandais, affirmant que l’imposition d’une limitation substantielle du nombre de vols était disproportionnée par rapport au problème et que la procédure d’approche équilibrée n’avait pas été respectée. Elles ont affirmé que cette solution avait été émise sans explorer suffisamment les mesures alternatives pour réduire le bruit et sans consulter les parties prenantes. Une juridiction de première instance a statué en faveur des compagnies aériennes. Le gouvernement a toutefois fait appel de cette décision en déclarant que le plafond actuel de 500 000 était déjà illégal et que le fait de le ramener à 452 500 n’était qu’une étape pour revenir à la légalité. La cour d’appel lui a donné raison et a annulé la décision du tribunal de première instance en mars 2024. Cette affaire était tellement compliquée et sensible que les 29 avocats impliqués dans l’affaire ont établi un nouveau record dans le Livre Guinness des records.

Cette affaire juridique a fait l’objet de pressions politiques. Le gouvernement des États-Unis a menacé KLM de représailles si les compagnies aériennes américaines perdaient des créneaux horaires à Schiphol. Il a soutenu que cette décision unilatérale du gouvernement néerlandais contrevenait au traité « ciel ouvert » conclu entre les États-Unis et l’Union Européenne. La Commission européenne a indiqué que l’application de la procédure d’approche équilibrée – et le fait de la mener correctement – était nécessaire. Cet avertissement et le jeu de pouvoir des États-Unis ont conduit le ministre à annuler ses projets. L’avertissement de la Commission européenne a ensuite été confirmé par la Haute Cour. Un nouveau plan gouvernemental visant à plafonner le nombre de vols entre 460 000 et 470 000 a été présenté à la Commission européenne et doit suivre la longue procédure de l’approche équilibrée. Ce nouveau plan fait suite à de nombreuses discussions entre le ministère néerlandais et la Commission européenne, cette dernière ayant insisté sur le fait que des mesures spécifiques de réduction du bruit devaient être mises en œuvre en premier lieu et que la réduction du nombre de vols ne pouvait être appliquée qu’en dernier recours. Les mesures ont été jugées disproportionnées par rapport à l’objectif de réduction du bruit. De nombreux groupes de la société civile, dont Stay Grounded, ont fait part de leur crainte que les plans soient édulcorés.

La procédure d’approche équilibrée

La procédure d’approche équilibrée est une méthodologie que les États membres doivent obligatoirement utiliser lorsqu’ils souhaitent prendre des mesures de réduction du bruit autour d’un aéroport.

Cette procédure est décrite dans le règlement règlement (I’UE) 598/2014 et protège les compagnies aériennes et les aéroports contre les restrictions en imposant des conditions très strictes aux limitations de trafic. Elle a été conçue en collaboration avec le secteur aérien afin de mettre des obstacles aux restrictions opérationnelles tout en respectant le cadre légal.

Elle stipule que « les États membres veillent à ce que, lorsqu’une action liée au bruit est entreprise, les dispositions suivantes soient envisagées, en vue de déterminer celle ou la combinaison de celles présentant le meilleur rapport coût-efficacité ». Elle oblige à étudier les quatre piliers de la procédure d’approche équilibrée, le dernier n’étant autorisé que si tous les autres ont été envisagés :

  1. Réduction du bruit des avions à la source (par exemple, des avions moins bruyants)
  2. Planification et gestion de l’utilisation des terrains (par exemple, isolation des maisons ou relocalisation des personnes)
  3. Procédures d’exploitation à moindre bruit (par exemple, trajectoires d’atterrissage différentes)
  4. Restrictions du trafic aérien.

Cette réglementation est entrée en vigueur en 2016 et garantit que toutes les parties prenantes, entre autres les compagnies aériennes, peuvent déposer un recours. Il inclut l’évaluation de la « proportionnalité » d’une mesure en regard de son unique objectif, la réduction du bruit. Les bénéfices pour le climat, l’environnement ou la santé ne sont pas pris en compte dans l’évaluation de la « proportionnalité » de la mesure.

L’annonce d’un plan visant à limiter les restrictions d’exploitation, tel qu’un plafonnement du trafic aéroportuaire, doit être faite par écrit à la Commission européenne, comme c’est le cas dans cet exemple.

L’arrêt sur le bruit

Dans un arrêt rendu en mars 2024, le tribunal de La Haye a statué sur une affaire déposée par une petite organisation appelée Right to Protection against Flight Nuisance (RBV). La Cour devait juger si l’État avait agi illégalement en exposant un nombre disproportionné de personnes à des nuisances graves et à des troubles du sommeil causés par le trafic aérien à destination et en provenance de Schiphol. La question juridique est de savoir si l’État a contrevenu à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), qui protège le droit à la vie privée, incluant le domicile. Le tribunal de district de La Haye a jugé que l’État avait effectivement agi illégalement, tout d’abord parce que l’aéroport avait fonctionné pendant près de 15 ans sans respecter la loi. Deuxièmement, ce niveau de trafic avait été mis en place sans qu’un juste équilibre ne soit trouvé entre les intérêts du secteur aérien et les intérêts de la population. Cela a conduit la Cour à conclure que l’État n’offrait pas une protection juridique adéquate à ses citoyens, comme l’exige l’article 13 de la CEDH.

Le tribunal de district a enjoint à l’État, dans un délai de douze mois à compter de la signification du présent jugement :

  1. d’appliquer les lois et règlements en vigueur, et
  2. de créer une forme de protection juridique concrète et efficace pour toutes les personnes gravement gênées et dont le sommeil est perturbé – y compris celles vivant en dehors des zones de bruit actuellement établies – et prenant en compte les intérêts de chacun d’une manière suffisamment individualisée et motivée.

Des recherches antérieures commanditées par le ministère néerlandais des transports ont montré que le respect des limites légales de bruit impliquerait un nombre maximum de vols compris entre 400 000 et 420 000. L’arrêt stipule également que l’approche équilibrée n’est pas nécessaire, car le règlement de l’UE ne supplante pas les lois nationales et les politiques établies avant 2016. Comme le décret sur le trafic aérien de 2008 (LVB 2008) était déjà en vigueur à cette date, sa mise en application ne constituerait donc pas une restriction des opérations nécessitant la mise en œuvre de l’approche équilibrée. Cependant, comme vu précédemment, la Haute Cour a statué en juillet 2024 que l’approche équilibrée prévue par la réglementation européenne était requise dans cette affaire. Face à ces contradictions, la Haute Cour a renvoyé la suite de la procédure devant la Cour de La Haye.

Contexte politique aux Pays-Bas

Jusqu’en 2023, les partis politiques favorables à la réduction de la capacité aéroportuaire ont toujours été minoritaires au parlement. Au cours des deux dernières décennies, les partis de centre-droit ont dominé et ont servi les intérêts des entreprises, notamment KLM, en augmentant continuellement la capacité des aéroports.

Les affaires susmentionnées concernant le bruit et l’azote étaient en cours depuis des années et les experts savaient que la situation ne serait probablement pas défendable devant les tribunaux. Une demande de « Permis Environnemental » pour un nouvel aéroport – Lelystad – venait d’être rejetée par le parlement en raison d’hypothèses irréalistes sur les nuisances et les émissions. Le parti-pris du gouvernement, prêt à prendre des mesures illégales pour favoriser la croissance du secteur aérien, devenait désormais flagrant. Cette situation était ressentie de façon particulièrement douloureuse et injuste par les riverains devant tolérer un bruit excessif et par les agriculteurs sommés de fermer leur exploitation parce qu’elle émettait trop d’azote. Le parti vert et le nouveau parti pro-agricole, souvent en désaccord, se sont unis à partir de 2023 avec les groupes protestataires et les gouvernements locaux, en s’opposant à l’autorisation d’un nouvel aéroport à Lelystad.

Le soutien politique à la croissance du secteur aérien s’est encore érodé avec l’émergence de nouveaux scandales. Une contamination par les PFAS des polluants qualifiés d’éternels, à la suite d’un incident aéroportuaire causé en partie par le non-respect des règles de sécurité par la compagnie KLM, a fait l’objet d’une plainte massive contre l’État pour ne pas avoir traité le problème des PFAS de manière responsable. En outre, il est apparu que les tarifs avantageux proposés par les compagnies aériennes utilisant l’aéroport de Schiphol ont pour contrepartie de mauvaises conditions de travail pour les employés de l’aéroport. Enfin, la question des substances cancérigènes extrêmement préoccupantes (SVHC) extrêmement préoccupantes (SVHC) est venue couronner le tout : leurs niveaux d’exposition sont encore calculés par des modèles au lieu d’être mesurés in situ, avec le risque de méconnaître des taux d’exposition toxiques pour les travailleurs de l’aéroport et les riverains.

La question de l’intérêt pour la société du développement du trafic aérien revient constamment dans le débat politique. Amsterdam attire les sièges de grandes entreprises, en partie grâce à son aéroport bien desservi, mais elle est également confrontée à un problème de surtourisme. À l’instar de Barcelone ou de Venise, il s’avère presque impossible d’empêcher un nombre excessif de touristes d’accéder au centre-ville. Le lien avec la croissance excessive du nombre de vols semble évident. Il existe un lien clair avec la croissance excessive des vols. La municipalité d’Amsterdam – actionnaire de l’aéroport de Schiphol – est aujourd’hui favorable à un plafonnement du trafic aérien à 400 000. De plus en plus de partis politiques sont convaincus que la réduction de la capacité aéroportuaire est le seul moyen de sortir du pétrin juridique. Même les partis de centre-droit sont désormais favorables à la réduction de la capacité maximale de l’aéroport.

Ruud Sondag, l’ancien PDG de l’aéroport, était particulièrement déterminé à en faire plus pour les riverains et le climat. Il a présenté un plan ambitieux, mais finalement rejeté, visant à interdire les vols de nuit et a commandité des recherches sur la manière dont l’aéroport de Schiphol pourrait maintenir ses émissions de CO2 dans les limites de l’Accord de Paris.

La pandémie a également joué un rôle dans le contexte politique : non seulement elle a montré que les déplacements professionnels sont désormais concurrencée par les réunions en ligne, mais elle a également révélé un long passé de subventions publiques ayant permis de maintenir KLM à flot. Cette histoire est bien documentée dans un livre best-seller paru en 2022 qui a alimenté l’indignation à l’égard de KLM. En outre, KLM a eu l’arrogance de ne pas respecter les conditions qu’elle avait acceptées dans le cadre de l’importante injection de fonds publics reçue pendant la pandémie, ce qui a créé des tensions entre KLM et le ministre des transports.

Liberté d’accès à l’information

La loi sur la transparence de l’information est un outil important pour engager des poursuites judiciaires et dénoncer les conduites illicites et les traitements préférentiels au sein des institutions publiques. Cette législation, moins favorable que celle de la Norvège et le Royaume-Unimais plus que celle d’autres pays, permet à chaque citoyen de prendre connaissance des documents publics, après qu’ils aient été anonymisés. Elle couvre les documents officiels et non officiels tels que les notes de synthèse, les courriels internes et tous les messages électroniques. Ce n’est pas un hasard si le Premier ministre néerlandais utilisait jusqu’à récemment un vieux Nokia dont la capacité de stockage des SMS était limitée. C’était l’excuse qu’il invoquait pour effacer des messages sensibles, au grand dam de la population. Des collectifs de riverains et des ONG néerlandaises ont demandé les courriels internes des agences gouvernementales sur des questions de pollution ou de transport aérien. Ils ont eu accès à des rapports sur le transport aérien rédigés par des institutions indépendantes qui conseillent le gouvernement en matière d’économie ( PBL) et de santé (RIVM) soulignant le faible intérêt économique des passagers en correspondance et les risques sanitaires liés aux particules ultrafines émises par les avions.

L’écosystème des acteurs

La diversité de l’écosystème de la société civile et la manière dont ses acteurs ont coopéré ont constitué un facteur important de la réussite de l’action visant à ramener le secteur aérien sur terre. Les associations de riverains ont coopéré avec les ONG environnementales dès le début, en mettant en commun leur militantisme, leur vécu et leur expertise. De nombreuses manifestations, calculs et actions en justice ont été réalisés en coopération.

Les groupes de riverains qui ont obtenu gain de cause n’ont pas accepté d’argent des autorités locales – même lorsqu’on le leur proposait – et sont ainsi restés libres de s’exprimer et d’agir comme ils le jugeaient nécessaire.

Certains experts sont devenus des activistes à plein temps, qui militent contre la politique actuelle relative à l’aérien, comme les fondateurs de Schipholwatch. Cette petite ONG recueille des données, publie des informations quotidiennes, met en relation des collectifs de riverains, fait du lobbying auprès des politiciens et utilise les dons de ses nombreux lecteurs pour payer des avocats qui conduisent les recours en justice. Les opposants aux aéroports entretiennent des contacts réguliers et discutent de stratégies avec d’autres personnes partageant les mêmes objectifs.

Leçons tirées – Ce qui a fonctionné dans la lutte pour le plafonnement à Schiphol

  • Tous les effets indésirables résultant du trafic aérien excessif à Schiphol ont été combattus, en utilisant tous les angles d’attaque : l’azote, le bruit, les PFAS, les effets sur le climat des émissions de CO2 et autres que CO2, les droits des salarié-e-s, les substances extrêmement préoccupantes (SVHC), les problèmes liés au surtourisme. Lorsque l’on dispose de moyens limités, il est bien sûr judicieux de les concentrer, mais il peut également être bénéfique d’avoir différents acteurs avec différents centres d’intérêt, s’adressant à diverses instances – si l’objectif principal est commun.
  • La revendication centrale, qui répondait à tous les problèmes engendrés par Schiphol, était la réduction du nombre de vols. Alors que le secteur aérien ne cesse de répéter qu’un hub est crucial pour l’économie, les opposants aux aéroports insistent, eux, sur le fait que la « décroissance du trafic » est la seule solution aux problèmes rencontrés. Cette unité de discours a permis d’éviter que les différents groupes ne puissent être montés les uns contre les autres et d’obtenir un soutien croissant.
  • Il en va de même pour la diversité des tactiques et des stratégies appliquées, de la plantation d’arbres à la désobéissance civile en passant par les actions en justice. Respecter les différences, accepter que chaque acteur apporte ses propres forces et joue son propre rôle est la clé du succès. La coopération entre toutes les parties prenantes est importante – sauf une :
  • La non-coopération avec le secteur aérien est essentielle. Il arrive souvent que les entreprises ou les autorités invitent les résidents à discuter. Loin de constituer une véritable ouverture aux demandes de la société civile, ces prétendues concertations sont en fait une tactique leur permettant de prétendre qu’ils ont « impliqué » les riverains. Et ils l’utilisent comme argument sur le plan juridique et politique. Une raison supplémentaire de ne pas coopérer est que le gouvernement est responsable de la mise en place de l’encadrement du transport aérien et à ce titre devrait être le principal interlocuteur. Qu’il cède souvent ses prérogatives aux entreprises du secteur aérien en les laissant définir leur propre cadre pose un véritable problème qui justifie le boycott. Dans un cas, une association de riverains a accepté l’offre de concertation, mais dans le but de se faire exclure et de créer une tempête médiatique. Cela a mis en évidence l’échec du processus participatif et a permis d’obtenir un soutien politique pour stopper l’expansion de l’aéroport.
  • Les recherches approfondies menées par divers acteurs ont été importantes. Engager des avocats ou créer des campagnes de communication est une chose, mais la collecte des données est une première étape indispensable. La loi sur la transparence de l’information a été cruciale pour obtenir des documents gouvernementaux (voir encadré 2). Il est essentiel de rester crédible, de fournir des informations exactes, d’admettre ses erreurs et de ne pas exagérer. À Schiphol, les failles ou les incohérences de la législation ont été recherchées et utilisées.

Et maintenant ?

Le 5 mars 2025, la Commission européenne a adopté la décision sur le plan de réduction du bruit de l’aéroport d’Orly. Dans sa décision, la Commission a reconnu que la France avait largement suivi les procédures appropriées, bien qu’elle ait relevé certains problèmes dans le plan. L’un des principaux problèmes était que le plan ne visait que l’aviation commerciale, tandis que l’aviation générale, y compris les jets privés et les vols médicaux, n’était pas affectée. La prochaine étape consiste pour les autorités françaises à examiner leurs conclusions et à fournir des explications supplémentaires ou des modifications avant de mettre officiellement en œuvre les mesures. L’étude de la Commission suggère que des réglementations plus strictes en matière de bruit pourraient devenir importantes dans les aéroports de l’UE.

Un autre plan du gouvernement néerlandais en attente de réponse de la Commission européenne est un plafonnement des émissions de CO2 pour les aéroports du pays. Bien qu’il ne soit pas destiné à fixer des objectifs plus stricts en matière d’émissions du transport aérien, il s’agit d’un instrument important pour faire respecter et préserver les objectifs existants. De toute évidence, une fois établis et ayant reçu le feu vert de l’Europe, les plafonds de CO2 constitueront un argument de poids pour plaider la limitation de capacités des aéroports si les objectifs d’émissions étaient revus à la baisse.

En décembre 2023, les élections ont débouché sur une nouvelle coalition gouvernementale d’extrême droite aux Pays-Bas, qui a adopté la position suivante sur Schiphol : « Dans les années à venir, l’accent devra être mis sur la protection des riverains (pollution sonore), tout en maintenant la qualité de l’offre de l’aéroport. À plus long terme, des avions plus silencieux et plus propres devraient permettre de poursuivre la croissance. »

Cette politique prudente d’une coalition d’extrême droite montre le pouvoir de la justice, qu’il est désormais impossible d’ignorer. Mais elle témoigne aussi d’un techno-optimisme que beaucoup ne partagent pas.

Le 19 novembre 2024, le tribunal de district de La Haye se prononcera sur la validité juridique du « Permis Environnemental » de Schiphol, avec une possible injonction de réduire significativement les émissions d’azote du transport aérien, ce qui, en pratique, implique la réduction du nombre d’avions. Paradoxalement, alors que l’Union européenne a restreint les possibilités de réduction de capacité aéroportuaire pour limiter l’exposition au bruit, la législation européenne en matière de biodiversité pourrait exiger une réduction encore plus importante de la capacité de Schiphol. Cependant, il n’est pas certain que le nouveau ministre d’extrême droite reconnaisse la nécessité d’une telle réduction.

Pour tous ceux qui cherchent à réduire le trafic dans les aéroports européens, il sera intéressant de voir comment les réglementations et les traités mentionnés seront finalement interprétés dans le cas de Schiphol. L’imprécision du cadre juridique a conduit à des décisions contradictoires et laisse place à des tractations occultes de la part d’acteurs étatiques ou d’entreprises pour défendre les positions actuelles ou futures du secteur.
Nous pouvons tous tirer des enseignements des arguments avancés dans ces affaires juridiques qui constituent des tests, où des restrictions de la capacité aéroportuaire ou des émissions, ou des outils pour les faire baisser ont été soumis à la Commission. Réduire la capacité aéroportuaire pour des raisons environnementales sera de plus en plus nécessaire au fur et à mesure que l’urgence climatique se développera. L’article 20 du règlement (CE) n° 1008/2008 fixe les conditions applicables aux mesures environnementales telles que la réduction des capacités, en précisant une nouvelle fois que la solution ne doit pas être plus restrictive que nécessaire pour résoudre le problème. Reste à savoir à partir de quand le problème sera considéré comme suffisamment grave pour limiter la capacité des aéroports.